Une approche très originale des origines de la monnaie
Ce livre est très intéressant car il aborde la question des origines de la monnaie de façon très originale pour l’époque. Ernest Babelon était au contact des monnaies antiques, et il a pensé que l’analyse approfondie des pièces pouvait apporter beaucoup à la compréhension des phénomènes économiques. A l'époque, les économistes ne se préoccupaient pas de numismatique.
Ses conclusions se basent sur l’observation des faits numismatiques, monétaires et historiques. Sa méthode est inductive : il part des faits avant de donner ses conclusions.
Ernest Babelon a observé les pièces de monnaies antiques sous le rapport du poids, en particulier sous un angle métrologique, mais il a également basé ses conclusions sur de nombreuses lectures. Il a relevé des faits monétaires dans de très nombreuses sources antiques, dont l’Ancien et le Nouveau Testament, l’Iliade et l’Odyssée, les Histoires d’Hérodote, les Oeuvres d’Aristote, de Pausanias, d’Eschyle, de Pollux, de Pline, de Varron de Tacite, entre autres, et même dans l’Histoire Auguste dont il a eu du mal à expliquer les bizarreries, et pour cause à l’époque on ignorait encore qu’il s’agissait d’un faux.
Ernest Babelon est précis dans ses citations de sources anciennes qu’il discute méthodiquement. De très nombreuses notes de bas de page prouvent, si c’était nécessaire, son érudition.
Monnaie abstraite ou monnaie "droite" ?
En ce qui concerne les sources modernes utilisées par Ernest Babelon, on peut citer des auteurs tout à fait oubliés aujourd’hui comme Herbert Spencer ou Stanley Jevons. Il mentionne au passage Adam Smith et son célébrissime livre sur la richesse des nations. Ernest Babelon a lu Smith mais il est en désaccord avec lui sur la nature de la monnaie, de même qu’il conteste le point de vue d’Aristote sur la monnaie en tant que fait social abstrait.
Ernest Babelon pensait que la seule monnaie valable était la monnaie métallique, en or ou en argent, dont la valeur métallique intrinsèque devait être le plus proche possible de sa valeur nominale. Il faut dire à son corps défendant qu’en 1897 le Franc Gernimal, était en place depuis presque un siècle avec une apparente stabilité.
Cette conception de la monnaie métallique “droite” pour employer son expression n’est plus soutenable aujourd’hui. C’est sûrement l’aspect du livre qui a le plus mal vieilli.
Pour le reste, on peut dire un mot du titre. Ernest Babelon, en parlant des Origines, se place sur un plan évolutionniste. Il parle d’ailleurs de “peuples enfants”, de “peuples simples” pour désigner les civilisations préhistoriques ou protohistoriques.
Ernest Babelon a choisi d’étudier les origines de la monnaies avec un très grande profondeur chronologique et géographique puisqu’il remonte aux usages pré-monétaires de l’Assyrie, de l’Egypte antique, des Hébreux et des Phéniciens, mais aussi des populations primitives de la Grèce, de l’Italie Centrale et du reste de l’Europe.
Il choisit également d'observer les usages monétaires contemporains qu’il compare aux usages antiques : c’est un des aspects les plus originaux du livre. Ernest Babelon observe l’universalité du fait monétaire, si l’on définit la monnaie en tant qu’intermédiaire des échanges. Toutes sortes d’objets ont été utilisés par les sociétés anciennes comme intermédiaire des échanges : des coquillages, des plantes (le tabac, le riz, le blé), mais aussi dans les sociétés pastorales anciennes, des animaux, comme les vaches ou les moutons.
De cette observation, on voit que la monnaie n’a pas une évolution unique et linéaire mais qu’elle a été inventée de façon totalement indépendante dans plusieurs régions du monde. Donc il y a bien des origines de la monnaie et non pas une origine unique.
La fable du troc
Il y a d’ailleurs des contractions dans l’approche d’Ernest Babelon qui suit l’idée développée par Adam Smith sur le troc. Smith a imaginé que les plus anciens hommes, avant l’invention de la monnaie, faisaient du troc, c’est-à-dire des échanges d’objets sans intermédiaire. Le troc a pu exister très marginalement dans le passé mais l’utilisation d’un intermédiaire des échanges ou d’une pré-monnaie, sous une forme abstraite purement mentale comme une simple unité de compte ou sous forme concrète d’objets, a de très profondes racines probablement préhistoriques. Les sociologues et les anthropologues, comme Marcel Mauss et ou plus récemment David Graeber ont d’ailleurs montré que le don, la réciprocité et la dette, c’est-à-dire le paiement différé sont des mécanismes qui préexistent à la monnaie à proprement parler.
Avant la monnaie : le métal pesé sous forme de lingots
Ernest Babelon montre bien que la monnaie métallique telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’a pas été inventée du jour au lendemain par un esprit brillant, mais qu’elle est le fruit d’une longue évolution, qui a tout à voir avec l’histoire de la métallurgie. Au terme d’une longue évolution, les métaux, au premier rang desquels se trouvent l’or l’argent et le cuivre se sont imposés pour leur facilité et leur commodité d’utilisation. Ils ont d’abord été utilisés comme intermédiaires des échanges sous formes de lingots, avant d’être standardisés par leur forme et dans leur poids. C’est l’intervention de l’Etat, qui s’est arrogé le monopole de la fabrication des monnaies et qui a garanti leur teneur en métaux précieux en apposant sa marque sur les pièces qui a parachevé, au tournant du VIIème siècle et du VIème siècles avant Jésus-Christ la création des pièces de monnaie telle que nous les connaissons aujourd’hui. Cette “invention” a eu lieu en Lydie, dans l’actuelle Anatolie et s’est par la suite répandue dans le monde entier.
La lecture du livre d’Ernest Babelon est très intéressante et même si le livre a vieilli sur bien des aspects, c’est toujours un plaisir de lire un maître de la numismatique et de l’érudition française.
Les Origines de la monnaie
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- patrick13
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